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Deux nouvelles littéraires de K. FOR KOKO'S à découvrir... 

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Cette première nouvelle littéraire de K. FOR KOKO'S a reçu le 1er Prix du Concours d'écriture 2015 de Lancy. 

METICULEUSE ORGANISATION

 

  • Single malt, quinze ans d’âge, servi avec un glaçon, Monsieur.

 

Après une journée aussi chargée que celle-ci, quoi de mieux qu’un bon whisky pour se détendre. Quatre millions deux cents quatre vingt sept mille francs, cela fait beaucoup de chiffres…  j’ai encore dû mal à réaliser que j’ai empoché cette somme aujourd’hui. Je vais enfin pouvoir m’offrir cette vieille ferme située au milieu de ce charmant vignoble au sud de l’Italie, me réveiller au rythme du soleil, me balader sans me soucier de l’heure du retour, manger lorsque la faim se fera sentir ou encore passer mes journées à bouquiner. Enfin, je n’aurai plus à entendre les gémissements de mes patients qui sont devenus des clients. Les gens sont malades, mais cela ne les empêche pas de se plaindre que « c’est trop cher ». Le pharmacien n’est pas respecté, il est considéré comme un simple vendeur qui lit la liste des courses de ses patients, puis met les achats dans un sac. A l’opposé, le médecin est Dieu : le patient entre dans le cabinet sans rien dire, le médecin griffonne un papier et le patient repart avec ce sésame et se sent déjà mieux. Combien de fois m’est-il arrivé de constater que le médecin avait confondu ses patients et remis la mauvaise prescription ? Ou qu’il n’avait pas « remarqué » que son patient prenne plus du quintuple de la dose de sirop contre la toux pour se shooter ? Ou encore ce médecin qui devait être encore plus shooté que son patient en lui prescrivant par erreur trente boîtes d’anxiolytiques au lieu de trente comprimés ? Je passe mon temps à écouter les gens déprimés, à vérifier qu’ils aient le bon dosage, le bon médicament, je me plie en quatre pour être serviable et même souriant pour qu’ils ne changent pas de pharmacie. Les assurances maladies nous accusent de faire exploser le budget santé, alors que ce sont eux qui décident des prix pour engraisser les firmes pharmaceutiques qu’ils soutiennent. Sans parler des médecins qui sont payés par les firmes pour prescrire ce qu’ils demandent. Les antidépresseurs sont distribués à tour de bras. Les calmants remplacent les bonbons qu’on donne aux enfants. Mais oublions tout a, aujourd’hui, je savoure ma victoire contre cette machine de guerre. Je suis fier de mon escroquerie! Quatre millions deux cents quatre vingt sept mille francs et la journée n’est pas terminée, car j’ai encore prévu de commettre un meurtre ce soir.

 

  • Chéri, le serveur vient de te servir ton verre de whisky. Tu pourrais dire quelque chose…

  • Oui, merci.

  • Excusez-le, mon mari travaille beaucoup en ce moment, il est fatigué.

 

« Fatigué », c’est le bon mot pour me décrire, mais ce soir, mon compte en banque n’est plus dans le rouge et je me trouve dans ce restaurant étoilé pour dîner en compagnie de ma femme. Nous fêtons notre anniversaire de mariage. Je dois beaucoup à ma femme, et si j’en suis là, c’est grâce à elle. Chaque matin lorsque je me réveille, elle est à mes côtés et même si elle dort encore, je vois son sourire, comme pour me souhaiter une bonne journée de travail. Ma femme a une beauté à rendre jaloux tous les hommes qui me croisent à ses côtés. Elle dégage quelque chose d’imperceptible, un mélange de douceur maternelle et d’ultra-sensibilité qui la rend si particulière. Je n’ai pas attendu longtemps pour lui demander de m’épouser après notre rencontre. J’étais trop amoureux pour risquer de la voir partir avec un autre homme. Il y a vingt ans, nous étions, comme ce soir, au restaurant. Je la dévorais du regard. Elle était pleine de vie et de rêves, alors que moi, je m’emmerdais dans mon officine à encaisser deux francs et six sous. Avant qu’elle ne termine son dessert, j’avais déposé discrètement la petite boîte turquoise au ruban nacré sur la table. Elle avait tout de suite vu ce que c’était. Elle avait versé tant de larmes ce soir-là. J’étais tellement fier de pouvoir être l’homme qui pouvait la rendre aussi heureuse.

 

Son émotivité et sa dépendance ont leur revers. Son manque de confiance a fait d’elle une planificatrice obsessionnelle. Ma femme anticipe tout et donc organise tout jusque dans les moindres détails pour ne pas être prise à défaut. La place à l’improvisation, à la spontanéité ou au hasard n’existe pas avec elle. Elle sait jouer de ses charmes et après toutes ces années, elle a réussi à me piéger et à me faire un descendant! Maintenant, cette « chose » baveuse et criarde rampe sous mon bureau. Elle avait si bien planifié son coup cette salope. Ce « miracle » de la vie n’aurait pas été calculé. Elle m’avait juré avoir pris la pilule tous les matins, sans jamais oublier une seule. J’ai été trop con! J’aurai dû comprendre que son regain de libido était réfléchi. Je n’aurai jamais dû lui donner le choix et l’obliger à prendre l’implant contraceptif. Sa vie est réglée comme une montre suisse. Au réveil, après avoir avalé son cachet d’antidépresseur, elle s’installe sur le rameur pendant une heure, puis elle passe un temps incalculable dans la salle de bain pour sa mise en beauté. A dix heures précises, elle doit engloutir sa pomme verte, ranger la vaisselle de la veille, lancer une lessive à nonante degrés pour tuer toutes traces de bactéries ou microbes éventuels. Et enfin, elle s’installe à notre bureau pour organiser les activités des jours, semaines et mois à venir. Nos vacances sont organisées trois ans à l’avance. Surtout, pas de surprise, elle ne le supporterait pas.

 

De notre rencontre, jusqu’à la naissance de cette immonde « chose », tout a été méticuleusement orchestré par ses soins. J’ai été longtemps trop amoureux pour comprendre que j’allais passer le reste de ma vie à bosser comme un âne. Ma pharmacie ne me rapporte plus rien. L’âge d’or des pharmaciens est terminé. Je suis criblé de dettes et ma femme roule en Porsche pour chercher le mioche à la crèche. Elle s’est offerte une nouvelle paire de seins le mois passé en utilisant mon compte épargne. Ma femme me pousse à bout, je n’en peux plus, je n’arrive plus à satisfaire ses désirs de diva. Il faut toujours plus d’argent, encore et encore.

 

Ce soir, après le dîner, j’ai prévu de mettre fin à ce calvaire et de me débarrasser de ma jolie femme. Ce dîner sera son dernier, je lui dois bien ça. Elle peut me dénigrer, me rabaisser ou m’humilier devant le serveur, les convives de la table voisine ou le portier, cela n’a aucune importance, c’est sa soirée.

 

  • Je suis désolée ma chérie, je pensais à nous et à tous les moments passés ensemble.

  • Chéri, arrête ! Tu ferais mieux de commander avant que le serveur ne revienne.

  • Ma chérie, prenons le temps de savourer cette soirée.

  • Arrête. Et puis, nous ne devrions pas trop tarder, je ne fais pas confiance à la nounou, j’ai peur qu’il arrive quelque chose à notre petit trésor.

  • Ne gâche pas la soirée, savourons ce dîner, et s’il te plaît, ôte-moi cet imperméable, on ne va pas partir de sitôt.

 

Il est à peine vingt heures et à l’entendre parler, on croirait qu’il est deux heures du matin. Pourtant, je lui ai laissé champ libre pour l’organisation de ce dîner d’anniversaire.

 

Je n’en reviens toujours pas, quatre millions deux cents quatre vingt sept mille francs dans mon compte en banque et demain, je commence une nouvelle vie.

 

Le menu dégustation a été liquidé en moins de quarante cinq minutes. Je m’étonne que le Chef de cuisine ou que les serveurs n’aient pas bronché lorsque ma femme leur a fait comprendre que nous devions partir rapidement pour qu’elle puisse donner le sein au mioche. Dommage, j’aurai aimé que ce dîner dure plus longtemps.

 

Le repas expédié, nous roulons en direction du Grand-Lancy. Il y a un accident de voitures, le carrefour est bloqué et nous empêche de tourner à gauche pour rejoindre l’avenue des Communes-Réunies où se trouve notre petit nid d’amour acheté à l’occasion de notre mariage. Un appartement plein de charme, mais qui a coûté mon deuxième et troisième pilier, ainsi que toutes mes économies.

 

Ma petite femme ne tient plus en place, nous sommes en retard sur son planning interne, tout est chamboulé, elle ne le supporte pas. Je ne peux pas dire qu’elle s’emporte, mais elle a le don pour me mettre en pétard :

  • A ta place, je n’aurai pas pris la route du Grand-Lancy, mais je serai passée par l’avenue du Curé-Baud. Et puis, au lieu de rouler au pas, tu aurais quand même pu dépasser les quelques voitures devant nous. Tu pourrais prendre des risques dans la vie et accélérer un peu !

 

Ma petite chérie, tu ne crois pas si bien dire, ce soir, je prends tous les risques possibles. J’avais prévu de t’assommer une fois arrivé chez nous, mais si tu continues à barjaquer, je vais t’en coller une comme il le faut, là tout de suite.

 

  • Mais tu as vu ça ?! Même ce vélo t’a dépassé ! Tu te fais avoir mon pauvre ! Au lieu de respecter le code de la circulation, roule sur le trottoir bon dieu ! Conduis comme un homme !

 

Et puis, à quoi bon faire durer le suspense, elle veut être de retour rapidement à la maison, autant qu’on en finisse avec cette soirée. Tant pis pour les bonnes manières, je vais prendre le trottoir et faire demi-tour. Dans moins de trois minutes, nous serons au parking et dans tout au plus cinq minutes, nous serons à l’appartement.

 

  • Chéri, tu pourrais te dépêcher et monter plus vite m’ouvrir la porte, j’ai mal aux pieds avec ses chaussures.

 

Je saisis la bouteille vide qui se trouve dans le container en bas de l’immeuble. Pendant qu’elle tapote sur son téléphone, je tiens la bouteille à deux mains, la soulève et donne un coup sec de toutes mes forces au niveau de sa nuque. Elle vacille, je l’attrape de justesse pour qu’elle ne tombe pas dans les escaliers. Le coup a été fatal, elle est morte. Je la redresse, pose délicatement la bouteille à terre, puis introduis la clé dans la serrure et ouvre la porte. Avant que je n’aie le temps de toucher l’interrupteur, j’entends une horde de voix crier en coeur :

 

  • BON ANNIVERSAIRE LES AMOUREUX !!

 

C’est là que tout a dérapé…  Ma femme a dû préparer méticuleusement cette soirée depuis des mois, de peur que j’oublie la date à laquelle elle a commencé à me pourrir la vie.

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By K. for Koko's

1er Prix du Concours d'écriture 2015 de Lancy

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Cette deuxième nouvelle littéraire de K. FOR KOKO'S a été publiée dans le Magazine annuel "Fraîcheur Létale" (Numéro 6, Journal de l'Université de Genève, Thème "Les secrets de l'art") en mai 2018.

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LA VRAIE HISTOIRE D’ALPHONSE OU L’HISTOIRE VRAIE DE CLÉMENT

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Deux histoires en miroir qui peuvent être lues dans l’ordre que l’on veut, pourvu qu’on découvre le coupable de cet horrible assassinat au MAMCO…

 

LA VRAIE HISTOIRE D’ALPHONSE

 

C’est le dernier jour de travail du Détective Alphonse Ricz avant son départ à la retraite. Sa carrière au sein de la brigade criminelle de Plainpalais prend fin et c’est avec nostalgie qu’il se remémore toutes les affaires improbables qu’il a traitées. La particularité du Détective Ricz, c’est qu’il ne croit pas aux nouvelles technologies qui font parler les indices. Contrairement aux nouvelles recrues de la police qui ne jurent que par les autopsies virtuelles permettant de déterminer l’origine des coups de couteau sans devoir ouvrir le corps, les analyses toxicologiques contenues dans les diverses matrices biologiques effectuées par chromatographie et spectrométrie de masse, ou encore la PCR qui est permet d’amplifier l’ADN et d’analyser des quantités infimes d’indices déposés sur une scène de crime, le Détective Ricz ne se fie qu’à son flair. Il travaille à l’ancienne, avec son carnet de notes qu’il garde précieusement dans la poche intérieure de sa veste. Il aime crayonner des portraits-robots, alors que des logiciels sont capables de le faire en un rien de temps. Il esquisse des scènes de crimes, alors qu’il y a des outils de visualisation en 2D et 3D qui permettent d’enregistrer précisément les images. L’aveu reste pour lui la reine des preuves, c’est pourquoi il passe un temps fou à interroger les suspects.

 

Ce matin, Alphonse Ricz reçoit un appel affolé du directeur du MAMCO, le musée d’art moderne et contemporain,  l’informant qu’ils ont découvert le corps sans vie de l’artiste-peintre dont ils viennent de consacrer la première rétrospective européenne. Chose surprenante, la langue de l’artiste-peintre a été coupée et un couteau est planté au niveau du cœur. Le directeur craint une mauvaise publicité pour son établissement, il demande au Détective Ricz de rester discret et de classer l’affaire rapidement comme il l’a toujours fait.

 

A son arrivée sur les lieux, Détective Ricz analyse en détail la scène de crime, reportant tous les éléments dans son petit carnet. Le corps de l’artiste-peintre couché à terre semble avoir été placé volontairement par l’assassin pour qu’il soit face à ses œuvres, comme s’il voulait que l’artiste contemple ses propres tableaux. Difficile à dire si l’artiste a souffert ou pas, tant il est méconnaissable par la quantité de sang sur son visage dû à sa langue tranchée. Pendant que le Détective Ricz crayonnait la scène minutieusement dans son carnet, il remarque qu’une phrase est incrustée dans l’un des tableaux phares de cette exposition : « Motus, le secret est dans la plume». Quel secret renferme cette œuvre ? Que signifie cette phrase ? Debout à l’entrée de la salle d’exposition se tient Clément Audo, neveu de l’artiste-peintre. Il est nerveux et sue beaucoup. Le Détective Ricz s’approche du neveu et commence à l’interroger. Les questions s’enchainent les unes après les autres, sans qu’un lien évident ne puisse être fait entre elles. Les questions concernent l’oncle, mais surtout le neveu, sa situation familiale, ses notes scolaires, sa bière préférée, ses amis d’enfance, s’il aime porter des bonnets en hiver, s’il est plutôt pâtes ou riz, mais le neveu ne se laisse pas déstabiliser, au contraire, il se montre coopératif.

 

Détective Ricz note scrupuleusement tous les échanges de leur conversation et commence à établir la liste des suspects potentiels. Son enquête avance ! Il imagine déjà le pot de départ de ce soir devant tous ses collègues de la brigade criminelle de Plainpalais, sous les applaudissements du procureur le remerciant pour cette enquête bouclée en quelques heures, juste avant son départ à la retraite ! Petit moment d’égarement, Alphonse Ricz reprend ses esprits et raye avec la pointe de son crayon le nom de Clément Audo, neveu de la victime, de sa liste des suspects. Celui-ci ne peut être le coupable, même s’il a le profil parfait. Echecs scolaires multiples, évincé de l’école des Beaux Art, tendance sociopathe, violent et jaloux du succès de son oncle, Clément Audo a le mobile parfait pour être l’auteur du meurtre, mais ce serait trop facile et évident pour que ce soit lui!

 

Son flair l’amène plutôt à questionner la femme de ménage du MAMCO, car il pense à la phrase inscrite : « Motus, le secret est dans la plume». La particularité du ménage fait au MAMCO, c’est que tous les tableaux se dépoussièrent avec des plumeaux à base de plumes d’oie. En effet, un élevage d’oies se fait dans la cour arrière du musée. Les oies sont gavées tout l’été, puis à l’approche de l’hiver, on commence à leur retirer les plumes pour en faire des plumeaux, puis à deux semaines de Noël, on abat les bêtes pour préparer les terrines de foie gras. Le problème, c’est que le MAMCO n’engage pas une seule femme de ménage, mais une entreprise employant une multitude de personnes, ce qui rend problématique la détermination du suspect. Alphonse Ricz abandonne donc cette piste et se concentre sur le dernier suspect de sa liste, soit le compagnon de jeu d’échecs avec qui l’artiste-peintre avait pour habitude de se rendre tous les mercredis matin au Parc des Bastions pour disputer une partie d’échecs. Détective Ricz pense tenir une piste valable. Cette inscription : « Motus, le secret est dans la plume», ne ferait-elle pas référence à ce compagnon de jeu qui a pour habitude de plumer les passants en les battant aux échecs ? Dans son interrogatoire, Alphonse Ricz apprend que le compagnon de jeu souffre d’hématophobie, soit une peur irrationnelle liée à la vue du sang. Pour pouvoir couper la langue de son ami, le poignarder droit dans le cœur, il n’est pas possible que l’auteur soit hématophobe !

 

Alphonse Ricz doit admettre qu’il a à nouveau échoué dans son enquête. Il se retrouve encore une fois face à un crime non élucidé. Son pot de départ sera l’occasion pour ses collègues de le railler et de se moquer de sa carrière pitoyable au sein de la brigade criminelle de Plainpalais, incapable de résoudre une seule affaire de toute sa carrière.

 

Avant de refermer son carnet de notes, Alphonse Ricz se demande s’il n’est pas passé à côté de l’enquête. Et si l’assassin était finalement le neveu? Et si Clément Audo était l’anagramme de Vincent Monet, le prête plume, peignant pour le compte de son oncle sans jamais avoir la reconnaissance de ses pairs, voulant finalement l’éliminer et le peindre une dernière fois dans sa marre de sang comme ultime œuvre sanguinolente ? Mort, l’oncle emporte avec lui ce secret bien gardé, car personne ne croira Clément Audo qui n’est rien.

 

L’HISTOIRE VRAIE DE CLÉMENT

 

Clément Audo est passionné d’art et de peinture, il peint depuis qu’il est capable de tenir une cuillère. Il n’a malheureusement jamais réussi à en faire son métier. Son indiscipline et sa tendance à aimer les bagarres ont fait que Clément Audo a dû quitter l’école très tôt. Les Beaux Arts, il en rêvait tellement. Son oncle, grâce à ses contacts, avait finalement réussi à le faire accepter dans cette école malgré qu’il n’ait pas terminé l’école obligatoire. Dès le premier trimestre, Clément se fait virer après avoir frappé violemment un professeur au visage. Il expliquera, plus tard, qu’il avait besoin de vivre la scène, afin de s’immerger de détails pour mieux dessiner. Son rêve s’écroula. Depuis ce jour-là, Clément vit reclus dans l’atelier de son oncle où il passe son temps à peindre, en cachette, à l’abri de tous les regards. Clément est un artiste-né incompris, mais l’oncle lui met très vite son atelier à disposition pour qu’il puisse s’épanouir. L’oncle de Clément est devenu un artiste-peintre reconnu, toutes ses œuvres s’arrachent à travers le monde.

 

Ce matin, Clément, installé à l’atelier et s’apprêtant à peindre le chien qu’il avait torturé et battu à mort la veille, reçoit un appel de la police. On lui annonce que le corps de son oncle a été retrouvé dans la salle principale du MAMCO, que sa langue a été coupée et qu’un couteau est planté en plein cœur. Il a perdu beaucoup de sang, il est mort. Clément Audo vacille, il n’y croit pas, ce n’est pas possible ! Pas maintenant, pas là, il ne peut pas être mort ! Clément décide de se rendre au MAMCO pour voir la scène de ses propres yeux et découvrir qui aurait pu accomplir un tel acte.

 

Sur les lieux, il rencontre Alphonse Ricz, détective chevronné à la brigade criminelle de Plainpalais. Il a traité de nombreuses affaires qui ont fait la Une des journaux. Aujourd’hui est son dernier jour, il veut boucler l’affaire avant son départ à la retraite. Clément Audo répond aux questions du Détective Ricz. Il lui fournit une liste de personnes dont l’une pourrait être l’assassin. Il pense notamment à la maîtresse de son oncle. Une pimbêche qui venait toujours miauler dans l’oreille de son oncle pour lui soutirer de l’argent. Il avait essayé de la quitter à de nombreuses reprises, mais ils finissaient toujours par se rabibocher et il lui comblait de cadeaux encore plus luxueux. Elle voulait qu’ils se marient, pas pour avoir un enfant, ses ovules auraient été trop vieux pour féconder quoi que ce soit, mais pour arrêter de faire le tapin et espérer toucher la rente de veuve le moment venu. L’oncle de Clément n’a jamais été marié ni vécu en couple stable, mais il aimait faire des promesses qu’il ne pouvait tenir. Il faisait des promesses à tout le monde, y compris à Clément qui avait un talent fou en peinture, mais incompris par l’élite qui dépensait sans compter des fortunes mais jamais pour ses tableaux, seulement pour ceux de son oncle. Clément Audo ne serait pas étonné que ce soit la maîtresse qui l’ait poignardé en plein cœur après qu’elle eût compris qu’il ne voulait plus d’elle. Un coup en plein cœur comme pour marquer la fin de leur histoire. Et la langue ? Elle l’aurait tranchée pour qu’il ne puisse plus faire de promesses! Clément Audo ne peut pas lui en vouloir… il pourrait presque excuser ce geste radical. Il s’était vu promettre d’être sous les feux des projecteurs une fois que la première série de tableaux aurait été vendue. Les tableaux s’étaient arrachés à ce premier vernissage. Puis son oncle l’avait convaincu d’attendre encore un peu avant de le présenter au monde, afin que ses œuvres se retrouvent dans les ventes aux enchères de Sotheby’s ou Christie’s pour prendre encore plus de valeurs. Il continua donc à peindre dans l’ombre de son oncle durant plus de vingt ans, allant d’une promesse à une autre. La dernière promesse en date était celle d’attendre la fin de sa rétrospective au MAMCO, afin que les prix de ses œuvres explosent, et qu’après cela, il le présentait au monde. Il faut admettre que l’oncle de Clément est non seulement un beau parleur, mais aussi un escroc hors pair. En affaire, il sait s’y prendre pour gagner beaucoup d’argent. Quant à Clément Audo, il avait un plan. Il avait prévu de mettre un terme à la carrière de son oncle… A l’issue de la rétrospective, il avait prévu de prendre la parole devant la horde de journalistes qui se serait déplacée pour révéler ce grand secret qui plane dans le monde de l’art depuis plus de vingt ans. Dénoncer son oncle, puis le faire enfermer, comme celui-ci l’avait enfermé dans ce rôle qui ne lui convenait plus… celui d’artiste de l’ombre, le prête plume de ses œuvres.

 

Après plusieurs heures d’interrogatoires, d’allées et venues, Clément Audo réalise que le Détective Ricz n’avance pas du tout dans son enquête, mais qu’il s’acharne sur une inscription « Motus, le secret est dans la plume », une phrase qui n’a aucun sens et surtout qui a été ajoutée ! Ce tableau, il le connaît que trop bien, c’est la première œuvre qu’il avait peinte et signée au nom de son oncle ! Détective Ricz n’envisage même pas d’interroger la maitresse qui se trouve pourtant sur la scène du crime en train de faire les poches du mort à la recherche du moindre billet de banque. Pire, le Détective Ricz finit pas annoncer que l’enquête est close, que le crime ne peut être élucidé faute d’éléments probants et que Clément Audo doit se faire une raison ! Clément Audo est anéanti… Son oncle ne devait pas mourir maintenant, il tenait à le ridiculiser en public et pouvoir se sortir de l’ombre !

 

Les yeux rivés sur le corps ensanglanté de son oncle, Clément Audo se pose soudain la question suivante. Et si c’était un suicide déguisé en homicide ? Et si son oncle était assez machiavélique et voulait marquer l’histoire à sa manière en mettant en scène son atroce assassinat pour sceller ce secret à tout jamais ? Et si c’était le détective, ce passionné d’art qui dessine à tout va, qui aurait tout fait pour faire capoter l’enquête en insérant de faux indices, comme cette phrase sur le tableau « Motus, le secret est dans la plume », afin de soustraire tous les tableaux durant les allées et venues au MAMCO où il a fait croire qu’il mettait les tableaux sous scellés, mais qu’en réalité il se faisait de l’argent en les mettant aux enchères ? Finalement, ne serait-ce pas Alfonse Ricz l’escroc dans cette histoire ? Son nom n’est-il pas l’anagramme de Charles Ponzi ?  N’avait-t-il pas intentionnellement fait capoter toutes les enquêtes de sa carrière pour mieux escroquer le monde de l’art et ses secrets bien protégés ?

By K. for Koko's

Publié dans "Fraîcheur Létale N°6"

Journal de l'Université de Genève

Mai 2018

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